HISTOIRE

de

SAINT PRINCIPIN

MARTYR DE CHASTELOY

Chateloye-110En quittant Moulins, ancienne capitale du Bourbonnais, et en se dirigeant vers l`Ouest, on rencontre bientôt la Prieuré de Souvignyville de Souvigny, célèbre autrefois dans la contrée par son Prieuré bénédictin, dont il reste une partie des bâtiments et la magnifique église. Au temps où les religieux habitaient encore leur couvent, outre les tombeaux des ducs de Bourbon qui y avaient leur sépulture, on trouvait aussi dans l`église les restes précieux de saint Mayeul, de saint Odilon et de saint Léger, puis, sur le grand autel. à droite. la châsse contenant les reliques du saint martyr Principin, dont la statue, de hauteur d'homme portant sa tête entre ses mains, se voyait sur les grandes portes. Sur la châsse étaient représentés les personnages et les circonstances qui se rapportaient au supplice du saint. On montre encore de nos jours le lieu de son martyre, dans une prairie, À quelque distance de la vieille église de Chasteloy (1), près de la petite ville d'Hérisson ; nous allons y conduire le lecteur.

On s'y rendait de Souvigny, il y a quelques années par Bourbon-l'Archambault, Ygrande et Cosne-sur-l'Œil. carteIGN

Maintenant, on suit la ligne de MouIins à Montluçon jusqu’à Villefranche-d'AIIier, où l'on trouve une route qui conduit d'abord au grand bourg de Cosne.

(1) Castellum Oculi, Château de l’Œil

La route se tient à peu près à égale distance des deux petites rivières de l' Œil et de l'Aumance qui mêlent leurs eaux au-dessous de Cosne, appelé de la première Cosne-sur-l' Œil (1). La rivière qui en résulte est nommée l' Œil sur les anciennes cartes, l*Aumance sur. les nouvelles. Á peine formée, elle s'enfonce dans une gorge sauvage et très pittoresque, où elle a alimenté jadis une papeterie, aujourd'hui en ruine, et fait mouvoir à cette heure de nombreux moulins. Tout à coup la gorge s'éIargit, il se forme une petite vallée, et l`on se trouve en face des ruines du vieux château et de l'antique cité d'Hérisson.Chateloye

Qu'on nous permette ici, sur Hérisson et sa vallée, une courte digression qui ne nous écartera pas trop de notre sujet, puisque cette vallée a vu le martyre de saint Principin dont nous avons entrepris de reproduire la légende.

Là, laissant la gorge où coule la rivière et où il n'y a jamais eu de chemin praticable, on continue à suivre la route de Cosne à Vallon, afin d'arriver ensuite à Hérisson par un court embranchement.

(1) Cosne-sur-l' Œil s’appelle actuellement Cosne-d'AIIier.

On aperçoit d’abord, sur la rive gauche de l'Aumance un monticule assez considérable complètement détaché et du plus curieux effet sut lequel s'élève une chapelle appelée chateloye-chapelleChapelle du Calvaire. Elle devait appartenir au chapitre de Saint-Sauveur, dont nous parlerons plus bas; vendue sans doute d' abord comme bien d'église, elle est aux propriétaires actuels en vertu d'un acte de 1825, déposé chez un des notaires d'Hérísson, et contenant une fondation.

Pour entrer dans Hérisson. on traverse aujourd’hui la rivière sur un beau et solide pont de pierre À trois arches : on devait la guéer autrefois en face de l'ancien chemin sur la rive droite, se trouve un moulin et un hameau appelés de là Gateuil. Le château domine le gué, le chemin de la ville et la ville elle-même. L'architecture était la même que celle des châteaux de Murat, de Billy, de Bourbon; la chapelle était dédiée à saint Ligier, dit Nicolas de Nicolaï, hérisson-le-pontet dans la basse-cour il y avait aussi une chapelle de saint Blaise. Fondée par Charles 1er duc de Bourbonnais. Il appartenait aux ducs de Bourbon ; il n'en reste plus que des ruines remarquables qui faisaient partie, ainsi que celles de Bourbon, de la succession du dernier Condé. De l'autre côté de la vallée, en face des vieilles ruines, se trouve une esplanade qui porte le nom de champ des Canons ; c'est de là probablement que jouait l'artillerie qui, après la guerre de la Fronde, démantela le château ; il avait auparavant beaucoup souffert des guerres contre les Anglais, et des guerres de religion. Le chemin du gué de l'Œil ou de Gateuil, suivant l'ancien nom de la rivière, arrivait a une porte de ville encore bien conservée et surmontée d'une niche dans laquelle la piété des habitants avait placé une statue de Notre-Dame. Au-dessus d'une autre porte également bien conservée, et située à l`autre extrémité de la ville la statue de Notre-Dame subsiste toujours. hérisson-porcheCeci, et d'autres monuments authentiques. Parmi lesquenla la Confrérie érigée en l’honneur de Notre-Dame par le cardinal de La Rochefoucauld, archevêque de Bourges ,avec bulle du Pape datée de 1745, prouvent l'ancienne dévotion des habitants de la ville envers la Très-Sainte-Vierge. Un solide rempart, flanqué de tours à des distances très rapprochées, et se reliant au château par les deux extrémités, protégeait toute l'agglomération. Ce rempart était percé de deux autres portes outre celles que nous avons citées.

Dans le milieu de la ville s'élève un antique clocher à la flèche très aigüe; c'est tout ce qui reste de l'ancienne collégiale de Saint-Sauveur fondée par Archambaud VIII au XlIIe siècle avec 23 prébendes (1) de chanoines et 22 vicaires. L'endroit où était l`église est devenu une place, et une route se dirigeant sur Cérilly. Cette place et des jardins s'étendant au-delà des anciens remparts sont encore appelés par les habitants les Chapitres.

(1) Un document récemment retrouvé prouve qu’ 'Archambaud n’a par fondé le chapitre du chanoine d'Hérisson, mai: que, « pour le tirer de pauvreté où il était » il lui a donné 100 livres de rente. Il y avait donc des chanoine: å Hérisson, bien avant cette donation d'Archarnbaud en 1221

Près de la collégiale on remarque l'ancienne maison où devaient loger les chanoines ; et, derrière ce logement, un vieil édifice affectant une forme de temple, est nommée la Synagogue. Y avait-il des juifs à Hérisson? (1) Enfin, dans le même groupe, était une chapelle dédiée à Notre-Dame, qui, jusque dans ces derniers temps, a servi d'église paroissiale. Comme elle ne répondait plus aux besoins du culte, la paroisse de Chasteloy ayant été réunie à Hérisson, on commença en 1854 l'entreprise d`une nouvelle église en dehors de l'enceinte de la ville, près des ruines du château. On força le rocher å céder l'emplacement nécessaire, et après bien des difficultés, provenant surtout du manque de ressources, le nouvel édifice fut inauguré en 1869. On ne put cependant achever le clocher ; seule du haut de la façade, la statue en bronze de Notre-Dame tenant sur ses bras le Divin Enfant, demeure encore la protectrice de la cité. A l'intérieur de l'église, une petite chasse renferme une relique considérable de saint Mayeul.

(1) Non, il s’agit des ruines d 'un temple protestant.

On remarque aussi sur un vitrail représentant saint François d'Assise, l'épisode de la défense du château par François de Fougières, seigneur du Creux, en 1650, contre la traîtresse entreprise de Simon de Sausson, seigneur de Bry. Le gouverneur, l'épée à la main, commande le feu sur les traîtres avec lesquels son fils est déjà aux prises. On rapporte qu'à l'observation qui lui fût faite sur le péril où il mettait son fils, il répondit : « Qu’importe, pourvu qu’il meure au service de la France el de son roi !» A la sortie principale de l'église se trouve le porche, qui doit servir de base au futur clocher. On descend par un escalier de trente-deux marches, dont la double rampe jusqu'au premier palier contourne les deux pilastres de la façade du porche. Le bas de l'escalier touche les anciens fossés, convertis en une promenade publique aboutissant å la rivière. La rue de la Varenne qui la longe arrive à l'hospice, dont la chapelle fut fondée avec cinq cents livres prises sur les biens du seigneur de Bry en vertu du jugement prononcé contre lui par les sieurs de Romaigné et de Dreuilly, conseiller du Roy, lieutenant-général civil et militaire en la ville et châtellenie d'Hérisson, lieutenant particulier, assesseurs et commissaire: examinateurs en cette ville. Quatre cent cinquante livres furent aussi attribuées à la fondation d'un service d’actions de grâces dans l’église de Saint-Sauveur, et cent à l'autel de Saint-Principin de l'église de Chasteloy, dont nous prenons enfin le chemin.chateloye-eglise-w

Dominant la vallée, voici d'abord le rocher de Romié qui s'ouvrait, dit-on, à certain jour pour livrer un trésor ; une croix y fut élevée pour combattre sans doute la superstition. Puis, c'est la croix d’Ecueil, et le chemin gravit alors une rampe escarpée et s'encaisse entre des rochers qui, sur la gauche, servent de base å la chapelle de Sain:-Etienne. Suivant une inscription gravée sur le marbre, à droite de la porte latérale, elle fut bâtie par un seigneur de la contrée, et dépendait de l'église et prieuré de Chasteloy, à qui elle payait certaines redevances ; desservie d'abord par les moines, elle le fut ensuite par les chanoine: de Saint-Sauveur. On remarque sur les murailles, dans la partie la plus rapprochée de l'autel, les figures grossières des sibylles qui ont prédit la naissance de Notre-Seigneur, et, sur l'autel même, deux petits bas-reliefs en marbre représentant l'un la naissance de Notre-Seigneur, et l'autre l'adoration des Mages.

Après quelques pas faits au-delà de la chapelle de Saint-Etienne, on aperçoit l’église de Chasteloy. On peut aussi à la croix d'Ecueil suivre la nouvelle route sur le bord de la rivière ; la chapelle de Saint-Etienne est sur la hauteur à droite, et, au premier détour, on a également droit devant soi l'église de Chasteloy. Un peu plus loin, de grosses pierres placées en travers de la rivière servent encore de passage ; on les appelle les pierres de Saint-Principin. C'est par là, dit-on, que le saint martyr, portant sa tête tranchée entre ses mains, et conduit par les anges, passa de la rive gauche pour monter à l’église de Chasteloy. On a toujours cru découvrir sur les pierres des traces de son sang. C'est aussi une vieille tradition qu'un marinier, conduisant un train de bois, ayant déplacé les pierres, perdit subitement la vue et ne la recouvra qu’après avoir remis les choses en état, et par l’intercession de saint Principin. Au-dessus des pierres de Saint-Principin s'élève à pic, à une chateloye-eglise-1grande hauteur, la masse rocheuse sur laquelle est bâtie l’église de Saint-Pierre de Chasteloy. Gravissons la rampe escarpée qui y conduit

Chateloye-10Avant d'arriver au sommet, à droite, au milieu de champs de vignes, une éminence s'appelle Babylone, et des débris de vieilles murailles portent le nom de rempart; ce sont les derniers vestiges de la cité romaine de Cordes. Des fouilles superficielles ont fait découvrir un certain nombre d'objets d'origine romaine : les mines de la cité ont peut-être servi à élever le château et les murs d'Hérisson. Les noms du rocher de Romié et celui de Romagné encore porté par un domaine ; ces noms viennent peut-être aussi du grand peuple. A l'entrée du petit village qui remplace la ville détruite, on remarque à gauche une maison dont la fermeture et une fenêtre sont d'antique origine. On se trouve ensuite devant l'entrée ruinée de la cour de l'ancien prieuré ; l'église est à gauche, avec un étroit passage entre les deux, Des contreforts faisant arcades forment une espèce de couloir terminé par une ouverture cintrée qui pouvait donner accès au cloître ou aux bâtiments intérieurs du couvent. Entre le second contrefort et cette ouverture. à l'aspect du Nord, est placé le portail de l'églíse dont le tympan est orné Chateloye-11-wd'armoiries fleurdelisées qu'on a essayé de détruire. La porte est garnie d`une serrure antique fort curieuse. l.'église, de style roman, n'a que deux nefs ; comme celle qu'elle a évidemment remplacée, elle a aussi l'apôtre saint Pierre pour titulaire; le patron du lieu est la Sainte-Croix en la fête de son Exaltation. A l’entrée de l'église, c'est la basse-nef qui se présente d'abord, terminée par l'autel de Saint-Roch ; sur cet autel on vient de placer, comme avant la Révolution, une statue de saint Principin dans sa forme traditionnelle.

C'est le 12 novembre 1881 qu'a eu lieu la bénédiction de la nouvelle statue. La cérémonie était présidée par M. l'abbé Morel, chanoine de la cathédrale de Moulins. Et promoteur de l’officialité diocésaine. Un nombreux clergé, précédé d'une foule considérable, partit processionnellement à neuf heures du matin de l'église de Notre-Dame d'Hérisson. La statue du martyr, placée sur un trône de verdure et de fleurs, était portée par les hommes de Chasteloy.

Sur tous les chemins et sur toutes les cimes des rochers, on apercevait une foule encore plus considérable que celle qui suivait la vallée. Les échos se renvoyaient les airs du cantique de saint Principin et d'autres vantiques de circonstance chantés avec ardeur par les enfants et les jeunes filles, et mêlés au chant plus grave des Litanies des Saints. A un moment, couverte de la multitude qui marchait avec un ordre parfait, la rampe de Chasteloy présenta un coup - d'œil ravissant. Bientôt, l'église ne fut pas suffisante à contenir le grand nombre des fidèles. La bénédiction de la nouvelle statue ayant eu lieu, une messe solennelle fut chantée au milieu du plus grand recueillement. Après l'Evangile, le père Mangeret, mariste, devant un auditoire ému de sa parole ardente, et à la tête duquel, donnant le bon exemple, se trouvaient les principaux habitants du pays, retraça, dans un discours où il mettait toute son âme, la vie de saint Principin, et publia les gloires du martyr. La messe terminée, c'était à qui pourrait se procurer des rubans portant l'invocation du saint, des photographies de sa statue, et de l'eau de la fontaine dont il sera question plus loin. Puis, une grande partie du fidèles se remit en procession, répétant les cantiques et accompagna le clergé dans son retour à l'église de Notre-Dame d'Hérisson. Et nous nous disions à nous-mêmes : si l'on veut nier ici l’intervention divine, il faut bien admettre alors un plus grand miracle : celui d'un homme obscur mis à mort dans une vallée inconnue, et dont la mémoire est restée en un tel honneur au milieu de nos populations après quinze siècles écoulés.

chateloye-302Revenons à l'église de Chasteloy. Du fond de la nef principale, le regard est frappé par une chateloye-802fresque antique, représentant à la coupole de l'abside, et plus grand que nature, le Christ bénissant. Les habitants du pays disent que c'est l'image du Père Eternel sans prendre garde que cette image a les pieds et les mains percés.

Autour de la figure majestueuse du Christ sont les évangélistes et leurs symboles séparément ; sur des banderoles sont écrites les premières paroles de chaque évangile. Dans les entre-colonnements du fond de l`abside sont peintes à droite et à gauche les images de saint Pierre et de saint Paul. D'autres fresques représentant des saints et saintes s’aperçoivent encore sous le badigeon des murailles de chaque côté de l'autel.chateloye-fresques

L'église entière avait des peintures qui ont été salies par le badigeon, ainsi que les sculptures des chapiteaux. Il est à remarquer que le mur de la grande nef ne suit pas la ligne droite ; il prend la courbe du rocher sur lequel il s'appuie. Au sommet de la basse-nef, près de l'autel de Saint-Roch, à gauche, est l'entrée d'une chapelle du XVe siècle avec un caveau sépulcral ; les murs, ainsi que ceux de la chapelle de Saint-Principin sont entourés d'un litre funèbre couvert d`armoiries aux besants d'or ; nous en trouverons bientôt l’explication dans l'histoire du chevalier de la Roche-Otton qui fut captif des Sarrasins, et racheté de cette captivité. Il reste la partie supérieure d'un vitrail qui devait être remarquable, et où l'on reconnaît encore les traces d'une Assomption. La chapelle avait dû s'élever en l'honneur de la chateloye-303Très-Sainte-Vierge, Notre-Dame du Rachat. Il y a encore dans l'église deux énormes pierres d'autel, et une autre dans le cimetière qui sert de pierre tombale, ce qui indique l'existence de trois autels à l'église de Chasteloy. Le dallage, en pierre presque brute, recouvre de nombreuses sépultures. Le couvent devait se trouver à l`Ouest dans la vigne où l'on remarque la cave du prieuré, et quelques vestiges de constructions sur le rocher.chateloye-304

En descendant de ce côté par un sentier très rapide, on retrouve la route sur le bord de I'Aumance. et, tout près de là sur la rive gauche, s`étend la prairie où saint Principin eut la tête tranchée pour la foi en Jésus-Christ. Nous y reviendrons tout à l'heure, ainsi qu'au château de la Roche qui s'élève un peu plus loin également sur la rive droite. La route de la rive droite arrive enfin au pied d'un monticule couvert de vignes et couronné d'un petit édifice avec un campanile qui supporte à peine aujourd'hui sa petite cloche aux sons argentins: nous sommes à la chapelle de Notre-Dame du Rachat. (1)

Voici la tradition de la contrée sur sa fondation :

«Un seigneur de la Roche - Otton était fiancé à Yolande du Creux ; il partit néanmoins pour la croisade et devint captif. Ayant fait vœu à Notre-Dame, il fut racheté et, à son retour, satisfaisant à son vœu, il fit construire la chapelle de Notre-Dame du Rachat sous le vocable de l'Annonciation.»

On voit encore dans la chapelle les tombes juxtaposées des deux fiancés qui, sans doute étaient devenus deux heureux époux. Jadis, au jour de l'Annonciation, comme elles l’ont fait cette année, après une longue interruption, le jour de la fête de saint Principin, les paroisses voisines venaient à Notre-Dame du Rachat en pèlerinage.

(1) II ne reste plus, maintenant, que des ruines de cette chapelle.

Nous avons retrouvé près de l'autel des restes de vêtements sacerdotaux. Autour de la chapelle s'étend un petit cimetière, aujourd'hui planté d'arbres toujours verts; ce devait être un de ces lieux bénis où l`on demandait de se faire enterrer, afin de dormir son dernier sommeil bercé par les chants pieux en l'honneur de Marie, et sous sa maternelle protection. Puisse Notre-Dame du Rachat se relever de ses ruines, retrouver son pèlerinage et délivrer les âmes si nombreuses qui de nos jours sont captives du démon. A quelque distance, de grands arbres semblent terminer la vallée; le château du Creux apparaît a demi voilé par leur feuillage. Les traces du vieux château existent sur le bord de la rivière; le château plus moderne en est séparé par le jardin potager.

C'est un vaste édifice qui a eu ses jours de splendeur, et, malgré son état d'abandon, il conserve des airs princiers que lui donnent son antique avenue, les beaux arbres de son parc et sa vaste cour d'honneur. C'est peut-être ici le lieu de dire que dans la chapelle du Creux, dans celle du Rachat, dans l'église de Chasteloy et dans la chapelle de Saint-Etienne on remarque des tableaux ou bas-reliefs de l'Adoration des Mages. Ne serait-ce pas là une dévotion locale rapportée de l'Orient au retour de la croisade par le seigneur de la Roche ? En remontant le cours de l'Aumamce, sur la rive gauche, nous retrouvons son château en partie conservé et habité. Une inscription, gravée sur une pierre près de la porte de la cour actuelle, indique la date de sa prise par les Anglais et de sa reconstruction :

-LE PORTAL A ESTE ABATV PAR LES ANGLOY. L. 1375.

A ESTE REDIFIE. P. PIE. DE VILLVME ECVIER. S. DE LA ROCHE. L. 1673.-

Dans l’intérieur, une immense cheminée porte aussi une inscription latine tout å fait chrétienne :

. IESVS-MARIA. IOSEPH. ET ANNA FILI DEI MISERERE MEI.

Après avoir dépassé le château de la Roche, et a une petite distance, nous nous trouvons enfin dans cette prairie d'Yvray qui fut témoin du martyre de saint Principin. Nous y remarquons un petit édicule élevé sur une fontaine ;à l’intérieur existe une niche grillée contenant une statuette du saint. De nos jours, on vient encore par dévotion puiser de l'eau à la fontaine ; on s'en lave les yeux quand ils sont malades afin d'en obtenir la guérison par les mérites, de saint Principin, et ce probablement en souvenir de la guérison de l`aveugle Macaire dont il sera parlé plus bas. Nous ne serions pas éloigné de croire avec Branche, Vie des saints d'Auvergne, que la source a jailli sous la tête tranchée et jetée a terre du bienheureux martyr. La tradition nous rapporte la même chose de I’ apôtre saint Paul : sa tête tranchée par le glaive produisit trois bonds, sous chacun desquels jaillit une source ; les trois sources sont renfermées dans l'église de Saint-Paul-aux-Trois-Fontaines.

Ce que nous venons de dire a pour autorité divers auteurs qui ont écrit sur le Bourbonnais, et aussi diverses traditions locales. Nous laissons maintenant la parole à dom Marcaille, l'auteur bénédictin des antiquités de Souvigny, en son livre VI, qui a pour titre : Vie et martyre de saint Principin, qui fut martyrisé près la ville d'Hérisson, en Bourbonnais le corps duquel est gardé en l'église de Souvigny.

«Saint Principin fut fils de la bienheureuse Maura, noble et très-illustre laquelle, quittant biens, terre, possessions, honneurs mondains et patrie gothique infidèle et idolâtre, vint en France trouver saint Martin, archevêque de Tours et entreprit ce long voyage avec douze siens enfants mâles, et s'étant présentez à saint Martin, furent tous recueillis gracieusement et avec la charité requise et ayant été instruicts et cathéchisez en la foy de Jésus-Christ, furent tous ensemble baptisez par les mains du dict saint archevêque de Tours. saint Martin, abjurants leur idolâtrie, et la fausse religion des payens, en laquelle ils avaient esté ellevez et nourris. Le Roy des Goths, nommé Agripin, ayant sçeu la nouvelle de ce sainct changement et conversion admirable, en fut tellement irrité, qu'à l'heure il commanda à ses satellites, que, sans autre forme de procès ladicte Maura et ses enfant; fussent poursuivis et recherchez, et aussitôt qu'ils seraient treuvez et appréhendez promptement, et sans deloy ils fussent exécutez et mis à mort, pour avoir faict injure à leurs dieux contemnans leurs sucres et autels. Ce commandement inique et sanguinaire fut bientost après mis à exécution, car, dix d'entre eux furent massacrez et couronnez de la couronne du martyre. Ce carnage cruel fut faict en divers lieux selon qu'ils estaient rencontrés, comme au pays de Lymosin, Poictoü, Berry et ailleurs. Sainct Principin fut trouvé proche la rivière d'Eulh, contemplant les choses célestes, et ruminant en soy les commandements et la loy de son Dieu. Enquis et interrogé par un des assassins du roy des Goths, homme forcené et remply de furie quel il estoit, il répondit franchement: «Si tu demandes de quelle nation je suis, tu sçauras que je suil de nation gothique. Si tu veux sçavoir ma profession, et quelle est la religion que j'embrasse, je publie et confesse que je suis serviteur de Jésus-Christ, Fils de Dieu, engravé et placé en mon cœur par la salutaire prédication du bienheureux sinct Martin, par la voix et parole duquel le Saint-Esprit a chassé les ténèbres de péché et d'erreur de I’ âme de ma mère, de mes frères et de moy, et suis plus près de mourir pour cette saincte foy que de retourner soubs la tyrannie de Sathan. » Ce bourreau et assassin courroucé et rendu plus furibond d’une si saincte réponse, tenant une hache, en coupa la teste å sainct Principin qui paracheva nonobstant sa prière encommencée. print et amassa icelle teste de sa main et la porta un long chemin jusques à une église dédiée å Nostre-Seigneur et à saint Pierre, frappa à la porte ; estan: interrogé par l'aveugle Macharius qui en estoit portier, responce fust donnée, et la porte fut ouverte, et tous deux ensemble entrent en ladicte église. L'aveugle s'estant frotté les yeux du sang du martyr, recouvra la veüe. Et parce que ceste histoire est en tous poincts miraculeuse, et surpasse l'œuvre de nature, je rapporterai mot à mot les paroles latines de lautheur qui la premièrement escrite pour donner plus de foy et oster tout suject au lecteur d'entrer en doute d'icelle.»

 -Sub brevi igirur responaionís magísterio demontrans beatus Principinus omnem suœqualítatis seriem, ad acrioris iracundiæ motus incitat spiculatorem. Qui non emollitus simplicís verbi cantibus, amputa: impià securí caput ejus : quod decidens terræ, el inchoatae laudis, modos volens finem imponere. illud canticum reddit, quod post benedicamus Domino, omnís fidelis omo dícit. Subsequitur autem huíe laudabili miraculo, et íllud admírabile factum, quod et in beato Dyonísio credimu esse adímpletum. Nam trunci beati Principíní corporis dextera manus bajulat aprehensum recísum caput : et cadaver emortuum vadit. velut vivens, per longa strata viarum. Tundem íllud cadaver pervenit, angelicís deductum manibus, ad ecclesiam nomini Dei. sanctique Petrí consecratam. Ubi quídam cœcus nomine Macharíus solito residebat, quem advenientium elemosina pascebat ; audiens vero crebros advenientis cadaverís passus, et anímadvertens solo audítu frequentes ípsius ecclesíae hostií propulsatus, ínterrogat illico causam quam non valet videre propter clarítatem oculorum perditam. Accepto autem super interrogatam causam responso, et audito quod Principinus esset qui pro Christi nomime crat. abcísso capite, coronatus martyrio, nec super ínauditam causam ampliùs alia replícat, nec ea fierí posse dubitat. Palpans igitur cœcus nomine Marcharíus, notas sibi ecclesiae hostii fures rescat :et uterque se non videns, insimul in domum Dei intra iste emortuus abcisso capite, iste adhuc manens in cœcitatís caligine. Ad demonstrandum autem sancti martyris Princípíni meritum, dum de collu ipsius guttas sanguinis palpando cæcus abstergít, et veteranos cœcos suos oculos inlínít, denegatum priùs lumen recipit, et gaudens videre íncipil. Ad antiquae igitur morticinium proprietatís rediens Martyris Príncipini caduver emortuum, in ecclesiâ sancti Petri custodítur à Machario illuminato, in uníus noctís termino. Mana autem facto sepelivit eum ut potuit in uno ejusdem ecclesiae loco ubi per multos dies manens, multra per eum operatus est virtutes omnípotens Deus

« Soubs la teneur de ceste breve responce, sainct Principin donnant à cognoistre sa qualité quant à sa patrie et à sa religion, il incita le bourreau à plus grande cholere, lequel non gaigné ou esmeu par la douceur de la simple parolle de Sainct Principin, avec impiété, d'un hache lui trancha et avalla la teste de dessus les espaules. laquelle tombant à terre, et voulant mettre fín à la louange et prière encommencée, rend et achève ce cantique que tout homme fidèle dict après : Benedicamus Domino. Sursuit pareillement à ce louable miracle, l'admirable faict que nous tenons pour asseuré avoir esté accomply en la personne de sainct Denys, car la main dextre du tronc du corps de sainct Principin pourtoit le chef tranché, l’ayant empoigné, et levé de terre. Et le corps mort marche et vad par longues espaces de chemins comme vivant. Mais enfin ce corps mort conduit par les mains des anges parvint et arriva à l’église consacrée et dédiée au nom de Dieu et de sainct Pierre : auquel lieu un certain aveugle nommé Macharius résidait et faisoit ordinairement sa demeurance, qui estoit nourry par les aumosnes et bienfaicts des survenans en ceste église. Oyant le bruíct des pas frequents du corps mort, et prenant garde de la seule ouye que l'on frappoit souvent à la porte de ceste église, interroge et demande promptement la cause de ce bruict, ne pouvantvoir que c'estoit parce qu'il estoit aveugle, et ayant reçeu et ouy responce sur son interrogation et demande que s'estoit Principin lequel ayant la teste coupée pour le nom de Jésus-Christ estoit couronné du martyre. Et ne feit plus de réplique sur une chose inaudite et ne doute pas aussi que ces choses ne peussent être faictes. Doncques l’aveugle appelé Macharius ouvre les portes de.l’église en tastonnant parce qu'il en estoit coutumier, et l'un et l'autre sans s'entrevoir entrent en la maison de Dieu cestuy mort, la teste avallée de dessus les espaules, et cestuy cy aussi demeurant aux tenebres de sa cœcité. Et pour monstrer aussi le merite du sainct martyr Principin, pendant que l'aveugle en tastonnant essuie les gouttes de sang du col d'iceluy et frotte ses yeux aveuglés reçoit et recouvre la veüe qui luy estoit auparavant deniée, et se resiouyssant commença à voir ; et le corps mort du martyr Principin, ad antiquae morticínium proprietatis rediens, est gardé en l’église de Sainct-Pierre l’espace d'une nuict par Macharius illuminé. Et le matin estant venu, l’ensepvelit comme il peut en un lieu de ceste église, ou demeurant par plusieurs jours, Dieu tout-puissant par iceluy feit de grands miracles. On tient seurement que ledict sainct Principin fut martyrisé aux prez d'Yvray, proche la rivière d'EuIh, et porta sa teste à l’église de Sainct-Pierre, de Chasteloy, paroisse d'Hérisson, ou il guarit l'aveugle et feit autres miracles, en mémoire de quoy, en ladicte église de Chasteloy. ledict sainct Principin est représenté, en son image, portant son chef en sa main sur1'autel de Sainct - Roch : il vivait l'an trois cent quatre-vingts ou environ.

«On void icy plusieurs choses admirables, premièrement un mort parler, porter sa teste, se tenir sur ses pieds droict, aller et chemíner un long chemin jusques à une église, frapper å la porte d'icelle y cherchant sa sépulture, entrer en icelle. Et à l’attouchement de son sang rendre la veüe à un aveugle. Ne pouvons - nous pas dire, oyans ces choses, que Dieu seul faict merveilles quant bon luy semble pour faire florir sa saincte foy et faire honorer ceux qui se renoncent eux-mêmes pour son service, et ne craignent d’endurer la mort pour son honneur et gloire. Qui visi sunt oculis insípientium mori, sed modo sunt in pace. Remercions-le de ce qu`il nous a manifesté la cognoissance de tant de miracles pour notre consolation : Et prions ensemble son glorieux martyr de se souvenir de nous et nous vouloir assister par ses dévotes prières, afin que par le mérite d'icelles nous puissions tous parvenir au port de salut.

Ceste histoire est extraicte d'un gros livre ancien qui est en belle forme, auquel sont contenues plusieurs autres légendes des Saints, page-de-garde-wlesquelles sont leües au service de Matines aux jours des festes et solennitez des Saincts en l’église et prieuré de Souvigny ; et est encore ladicte histoire dépeincte, figurée et gravée en bosse bien au long, avec tous ses personnages et circonstances, selon et ainsi qu'il a esté cy dessus représenté sur la chasse du dict sainct Principin qui est posée et gardée sur le grand autel du chœur à main dextre en entrant, et à l'endroict ou le roy est figuré. Est escrict au-dessus : Agripínus, rex Gothorum, puis ou saínct Principin fut décapíté,est aussi escrict : Sanctus Principínus, et près de la rivière, oculus flumen. et au lieu qui vad en montant, ou sainct Principin pourtant son chef en sa main, guarit l’aveugle, est escrict : Sanctus Princípinus, Macharius cœcus : Et au bas de ladicte châsse ou sont représentez sainct Martin en habit d'evesque en son pontificat, et quelque autres baptizant saincte Maure avec ses douze enfants, ces mots sont escrits en teste desdícts personnages : Slnctus Martinus baptizat beatam Mauram cum duodecim filiis suis in nomine Patris, et Filií, etc. L'image du dict sainct Principin est encores à l’entrée des grandes portes de l’église, de l’hauteur d'un homme pourtant sa teste tranchée en sa main, avec ceste inscription au pied : Saínct Principin. » La fest: dudict sainct Principin se solennize audict prieuré de Souvigny le douziesme jour de novembre, et la feste de la translation «le sixiesme de janvier.»